Par le hublot, Chapitre 2

747 KLM

Aurélie a beaucoup travaillé cet été, et ce vol pour le Japon, bien qu’elle l’ait demandé, elle a hésité à le faire. La fatigue accumulée, les heures de vols avec un repos minimum entre chaque vol, des avions toujours plus remplis, un décès survenu à bord, des enfants voyageant seuls à chouchouter, les mécontents insatisfaits éternellement, les exigences multiples et inimaginables,  ses enfants à la maison qui lui manquent et qui pleurent quand elle les appelle en escale, tout cela fait qu’elle n’en peut plus… Elle aime son métier d’hôtesse de l’air mais là, elle a vraiment besoin de vacances.

Encore un vol et elle pourra enfin se reposer en famille. Elle reprendra l’avion dans 3 semaines, et ses enfants ne voudront pas qu’elle reparte. Un cercle vicieux pour elle. Plus elle reste chez elle, plus elle a du mal à en repartir. Elle en a rêvé quand elle était petite et des fois elle se dit qu’elle aurait mieux fait de choisir princesse… En plus une princesse ne se serait jamais fait draguer par cet homme étrange qui a décollé en face d’elle, il n’aurait pas osé.

Elle l’a remarqué dès l’embarquement. Au bout de son cinquante troisième « Bonjour! » sans réponse, elle commençait à fatiguer et à devoir se retenir de ne pas répéter son salut jusqu’à ce qu’on lui rende enfin, quand une petite voix aigrelette lui répond avant qu’elle craque complètement en public. « Bonjour Mademoiselle! Comment allez-vous aujourd’hui? J’espère que la météo est bonne sur la route! ». Se retenant de lui expliquer qu’elle ne s’appelle pas Evelyne Dhéliat, elle lui rétorque d’un ton un peu trop sec qu’elle l’espère aussi, puis se radoucit, comprenant qu’elle est en train de se mettre la moitié de sa clientèle à dos…

Aurélie cherche pendant l’embarquement tous les moyens pour s’éloigner un peu de son issue et de ce passager étrange et dérangeant. Elle n’a pas le droit de partir trop loin, et doit être capable de revenir vite à sa porte en cas d’évacuation. L’embarquement, c’est une phase de concentration pour l’équipage commercial. Accueillir et aider à l’installation des passagers, cerner rapidement sa clientèle et prévenir des éventuels débordements (alcool, agressivité…), mais aussi rester vigilant par rapport à l’environnement. Bruits, odeurs, possibilité d’évacuer ou non, et surtout: communiquer avec ses collègues, voilà sur quoi elle reste concentrée.

Mais elle se sent observée. L’homme la reluque dans son dos, elle le sent. Elle ne comprend pas s’il la drague ou si c’est autre chose. Il a vraiment un comportement singulier. Et puis son allure de grande sauterelle avec ses jambes immenses et un corps tout maigre la perturbe un peu. Elle note mentalement de se trouver un autre « passager requis » en cas d’évacuation ou de préparation de la cabine si il y avait un soucis pendant le vol. Elle ne saurait lui faire confiance pour la seconder dans l’urgence, et elle demanderait certainement au quarantenaire décontracté et terriblement musclé deux rangs derrière de venir s’asseoir à l’issue à sa place.

Heureusement il ne se passe rien de spécial au sol, et Aurélie s’assied enfin pour le décollage, après l’annonce du commandant de bord: « PNC, préparez-vous pour le décollage ». Concentrée jusqu’à la rentrée du train, elle se laisse partir dans ses pensées en attendant le moment de se détacher et fuir la proximité de l’homme sauterelle. Une voix parvient jusqu’à elle alors qu’elle revoyait sa fille glisser un dessin dans sa valise, croyant qu’elle ne la voyait pas, et s’extasiait encore de lui avoir transmis sa rousseur et ses très longs cils! Cette pensée émouvante est brisée nette par la voix doucereuse et nasillarde du passager dégingandé.

« Je voyage souvent vous savez, presque autant que vous, alors si vous avez besoin d’aide je suis là pour vous! » . Suivie d’un clin d’oeil appuyé, cette phrase achève de répugner Aurélie… Heureusement le gong libérateur retentit enfin, le signal qu’elle attendait et qui lui permet de se lever. Elle fuit immédiatement de l’autre côté du rideau et commence à préparer les « trolleys », ces chariots à roulettes avec lesquels les hôtesses servent repas et boissons dans les allées de l’avion, pour le service de l’apéritif. Elle ouvre les bouteilles, installe les biscuits salés. Une collègue passe devant elle et lui pique deux petites bouteilles de whisky: « Punaise y en a qui ont soif à cette heure là », dit-elle en riant!

Pendant le service de l’apéritif, Aurélie se détend peu à peu. Elle plaisante avec un couple de personnes âgées, et apprend à plusieurs clients que sur sa compagnie, aucune boisson n’est payante à bord. Elle ne s’offusque même pas quand ce jeune homme lui demande d’un geste de la main de le laisser tranquille, sans la regarder, sans parler, l’air excédé d’être dérangé dans sa méditation. Un enfant est un peu malade, elle lui apporte un sac en papier au cas où, et lui suggère de boire un peu de coca bien frais sans les bulles, pour faire passer la nausée, l’hydrater un peu et lui apporter le sucre dont il a besoin pour se sentir mieux. De siège en siège, rangée après rangée, elle se met à plaisanter et à créer des liens avec les passagers de sa zone de service, et se souvient enfin de ce qui fait la richesse de son métier: l’absence de routine, et la richesse des rencontres humaines…

Du coin de l’oeil, elle aperçoit l’homme sauterelle qui la regarde avec insistance, le sourire aux lèvres, comme s’ils se connaissaient personnellement et qu’il voulait la soutenir le temps du service. Des lèvres minces étirées sur des petites dents fines, espacées et jaunies. L’anti beau mec par excellence se dit Aurélie! Un frisson de dégoût remonte le long de son dos, de bas en haut, et elle doit serrer les dents pour ne pas lui dire d’aller se faire voir ce dégueulasse. Mâchoire contractée, sourire figé, elle poursuit le service des boissons et rentre à l’office, poursuivie par un sentiment de malaise exarcerbé par sa fatigue et son manque total de tolérance qu’elle engendre.

Avec ses collègues, dans cet espace exigu qu’est le « Galley », l’office, la cuisine, c’est le moment de ranger le matériel de service de l’apéritif pour pouvoir préparer le repas. Les clients ont faim, il faut faire vite. On se touche, on se bouscule, on s’excuse, on rigole et on se dépêche. On essaye de ne pas trop faire de bruit, mais le matériel a des heures de vol, et les logements en métal ferment mal, il faut claquer fort les portes pour pouvoir les fermer! Au moment où les fours sonnent la fin du réchauffage des plats chauds, tout est rangé et les trolley-repas sont sortis, portes ouvertes, pour que l’équipage puisse charger les petites « cassolettes » chaudes sur les plateaux.

 Aurélie enfile ses gants de four pour ne pas se brûler. Les petits plats individuels en aluminium sont extrêmement chauds au sortir du four et il n’est pas rare que les hôtesses se retrouvent avec des cloques dues à la chaleur si elles ne font pas attention au moment de glisser les mains dans le four pour en sortir les grilles! Elle se concentre pour ne rien renverser, elle ne saurait vraiment pas quoi faire si un des plats se renversait sur le sol, étant donné qu’il n’y a pas de repas supplémentaire. Mais de l’autre côté du rideau, une drôle de ferveur attire son attention.

Une certaine agitation, puis des cris carrément, Aurélie se demande ce qu’il se passe quand elle entend hurler au feu! Ah non pas ça, le feu dans un avion, c’est un peu la chose la plus redoutée, surtout quand on est au beau milieu de l’Atlantique et que le terrain de déroutement le plus proche est à presque 3 heures de vol! Son coeur s’emballe et le sang monte à ses joues, elle est prête à agir comme elle l’a si souvent répété lors de ses formations quand le rideau du Galley s’ouvre brusquement et qu’elle comprend que c’est l’homme sauterelle qui hurle que l’avion brûle et qu’on va tous crever! Elle ne comprend pas tout de suite ce qui se passe mais le problème n’est sûrement pas le feu… Elle balaye la cabine du regard, interrogative, et croise celui de l’homme qu’elle avait finalement choisi comme « passager requis », qui se lève brusquement…

                                                                                   A suivre…

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