
Ces temps-ci, les avions dorment; dans les hangars, sur les parkings, le long des taxiways. Un peu étonnés, d’habitude ils sont au ciel. Là, ces temps-ci, ils se demandent ce qui se passe. Pourquoi ils ne voient pas, lorsqu’ils sont par terre, recroquevillés sur les boudins noirs de leurs pneus, ces petites armées d’humains affairés autour d’eux?
Ils ne sentent pas non plus les petits contacts des passerelles télescopiques qui viennent s’appuyer contre leur fuselage, côté gauche, et qui laisser s’écouler des dizaines, centaines d’humains un coup de l’extérieur vers leur intérieur, puis après leur voyage dans le ciel à l’inverse.
Pourquoi tout cela n’existe plus?
Les avions s’inquiètent, donc…
Ce qui leur manque le plus sont ces petits groupes d’hommes et de femmes habillés en bleu sombre, qui sont leurs partenaires humains. Ils savent qu’on appelle ça des équipages. Ceux-là sont leurs complices.
Certains, à l’avant, assis derrière les vitrages du cockpit, pianotent et caressent les multiplicités de boutons, manettes, interrupteurs, leviers, qui permettent de faire naître leur énergie, de faire chanter leurs systèmes, gronder leurs moteurs. Ceux-là les guident, avec des délicatesses de musiciens.
D’autres prennent leurs postes dans la cabine où vont s’installer les passagers, et ceux-là vont accompagner ceux pour qui, en somme, tout ces systèmes géants ont été inventés, construits, et finalement mis en oeuvre. Ceux-là aident les passagers à bien vivre leurs voyages, ils sont des guides, comme il y a des guides de haute montagne…
Les avions n’aiment rien autant que ces longs vols dans la nuit, lorsque les passagers s’assoupissent et que veillent les équipages. Là, on est dans l’essence de leur existence. Le silence de la nuit dans les avions est comme une musique de vibrations amicales, une mélopée tranquille. L’avion veille sur ses habitants, l’équipage veille sur l’avion. Ce sont d’immenses moments de confiance naturelle et réciproque, remplis d’une sérénité majestueuse et magique.
Le ciel se déroule alors avec la lente migration des étoiles piquetant la voûte sombre du ciel nocturne. Les étoiles glissent vers l’arrière, d’autre naissent sur l’avant, comme dans un manège infini au mouvement ralenti. Les avions savent mieux que quiconque que la terre est ronde, mais ils savent aussi que le ciel est sans limite, et qu’il est leur domaine. Il est aussi, ils le sentent, le domaine des équipages. Entre les avions et leurs équipages existe une sorte de fraternité interraciale. Et n’allez pas me dire que les avions sont des machines, seulement des machines.
Les avions sont, comme me l’a dit parfois un ami qui oscille entre romantisme et technologie, des créatures plus qu’ils ne sont des créations. La vie des avions n’est pas au sol. Elle est là-haut. Et parce que cela est vrai, le monde a changé.Il appartient désormais, à cause de l’existence des avions et de leurs équipages, à l’humanité entière. Ensemble ils ont fait des humains de vrais terriens. Ce n’est pas une poussée de folie de la part d’une nature qui parfois entre en crise qui va changer l’art d’exister à la manière des terriens.
Bientôt, après qu’on aura pleuré les disparus et soigné les malades, on remettra les moteurs en route. Les avions rouleront à nouveau, leurs équipages à bord. On remontera au ciel. C’est dans l’ordre des choses.
Anonyme

